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Voyages

10 Février 2009 , Rédigé par Renaud Guilbert-Roed Publié dans #Petites Pensées de vie

Une matinée comme les autres, une gare froide et venteuse, un univers de fer, de boulons, de rails, de graisse, de bruit et de congénères. Quelques écrans donnent les indications de voie, le modernisme personnalisé dans un univers chargé de monotonie et de passé.

Machinalement je rentre dans le second wagon en queue, celui qui me permet d’être à côté des escaliers pour sortir. Le train a été modernisé, sous ses allures extérieures de froid métal froissé, une ambiance de tissus colorés adoucit le rapport à la machine. J’ouvre mon livre et attends le départ.


Une sonnerie stridente, quelques coups de sifflets, des ombres qui courent avant que les portes ne se ferment, jusque là tout est normal, je remets le nez dans mon livre. Et puis un bruit, un ensemble de bruit : un accordéon se met à pleurer. Ma charmante voisine qui vient de se couper du monde par des écouteurs esquisse un geste de lassitude, nul doute que des tubes franchouillards vont massacrer la tranquillité de ce dernier moment avant le travail.

 


Les notes s’animent, la musique jaillit et c’est une vieille chanson de Trenet qui revit. Mais pas comme d’habitude, les traits ne sont pas lourds, le geste n’est pas accentué, la musique n’est pas la caricature d’elle-même. Surpris je lève le nez. Dehors le quai s’efface, le paysage est mouillé et un chargement d’humain arrive sur le quai voisin. Quelques regards s’interfèrent dans cette grisaille ambiante et mon regard croise enfin la source de la musique. Des doigts bougent habilement sur un accordéon simple, la douceur de Trenet a fait place à un tango. Thème familier, mais dont je ne connais pas la source, le son est feutré, les temps ne sont pas accentués, à l’entendre je n’imagine pas les femmes se plier sous la force mâle mais plutôt fusionner de façon souple avec leur danseur. Alors pour la première fois je regarde cet homme qui ne massacre pas le répertoire en faisant du vulgaire. Mes yeux montent à son visage et je croise ses yeux qui me regardaient ; justement, il sourit. Un visage sans âge avec un béret, une décalcomanie d’un Paris du 7ème art me regarde gentiment. Gêné, je réponds au sourire et fuit ce feu qui me brûle.

 


Quelques minutes vont passer, après le tango vient la mélodie triste puis le galop et pour finir du bel canto Italien, même pas dégoulinant. Pas de tube, mais de la musique avec sa douceur, ses nuances. Le train s’est arrêté mais la musique continue, un crachouillis de micro dérange une phrase musicale et d’un coup le bruit s’arrête. Mes yeux, qui vagabondaient sur les maisons en pierre en face de la gare de cette banlieue, retournent vers le musicien ; il s’est arrêté pour que tous entendent le chauffeur nous dire que nous serions stationnés sur la voie quelques temps et qu’il ne fallait pas descendre. Dans la rame, tous les Ipod se sont coupés le temps de l’annonce, déjà chacun réinstalle son oreillette lorsque reprend la valse lente. Mon regard glisse vers l’accordéoniste, je souris.

 


Après 10 minutes de musique, l’accordéoniste passe dans la rame. Peu de bruit vient tinter dans sa bourse. Un échange, je crois lire un merci de ses yeux lorsqu’ils croisent les miens. L’artiste s’assoit. Les Ipod ne seront plus perturbés. Dehors le calme mouillé de la gare de Suresnes prend des allures de province.

 


Et puis le train repart, des grincements, un roulement, une machine, un alternateur, que de choses que je n’avais pas entendues viennent m’agresser. De temps à autres les 5 premières notes du parrain viennent s’harmoniser avec ce bruit, cette inhumanité. Des doigts d’un voyageur bougent nerveusement sur un instrument.

 

Quelques minutes ensuite je quitte le train dans ce monde de tour, dans cet environnement de travail. Dans les escaliers je vois un mendiant à casquette avec un accordéon se diriger vers le quai du retour pour Paris.

 


Est-ce de la nostalgie, je ne crois pas, mais j’ai eu dans ce monstre de métal le sentiment fort que la musique rendait humaine l’inhumain.

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